Essai de reconstitution d'un moulage de l'« Etude de robe de chambre pour Balzac »

Essai de reconstitution d'un moulage de l'« Etude de robe de chambre pour Balzac »

L'archéologie expérimentale appliquée au domaine de la sculpture permet de retrouver les procédés utilisés par les artistes du passé. Dans cette perspective, les mouleurs Dominique Brisset et Bruno Maloberti ont entrepris une expérience visant à reproduire le moulage de la mystérieuse Étude de robe de chambre pour Balzac de Rodin.

Cette démarche a permis de tester plusieurs hypothèses quant aux méthodes employées par l’atelier d’Auguste Rodin en confrontant les connaissances théoriques à la pratique. Par cette méthode issue de l’archéologie les défis techniques trouvent leur résolution. Elle apporte un nouvel éclairage sur les pratiques innovantes de Rodin, dévoilant un processus créatif par étapes successives.

L’opération d’archéologie expérimentale s’est tenue en juin 2024 dans les locaux du musée Rodin à Meudon en juin 2024, dans le cadre de l'exposition Corps In•visibles présentée au musée Rodin à Paris du 15 octobre 2024 au 2 mars 2025.

L'Etude de la robe de chambre pour Balzac (S.146)
L'Étude de robe de chambre pour Balzac, S.146

 

L'expérience en vidéo

 

L'expérience pas à pas

Vue de l'oeuvre

  • FIG. 1 Dominique Brisset et Bruno Maloberti font des tests d’imprégnation au plâtre par trempage d’un morceau de tissu. Cette opération est plus efficace si le tissu a été préalablement trempé dans de l’eau, car le plâtre adhère mieux.
  • FIG. 2 Dominique Brisset et Bruno Maloberti font des tests de positionnement de la robe de chambre sur le mannequin. L’objectif est de retrouver au plus près la forme de l'« Étude de robe de chambre pour Balzac » de Rodin.
  • FIG. 3 Le pan droit de la robe de chambre a été trempé dans du plâtre gâché clair, c’est-à-dire avec une proportion d’eau légèrement supérieure à celle du plâtre. Ne pas trop charger en plâtre permet de mieux conserver l’aspect du tissu.
  • FIG. 4 Le pan droit de la robe de chambre est en cours de positionnement sur le mannequin, dont le bras gauche a été retiré pour ne pas gêner le placement (le tissu passe à l’endroit juste derrière la main gauche).
  • FIG. 5 Les deux pans de la robe de chambre sont en place sur le mannequin. Des supports en mousse soutiennent le bord des manches pour leur donner la forme légèrement recourbée qu’on observe sur l'« Étude de robe de chambre pour Balzac » de Rodin.
  • FIG. 6 La partie avant du moule à creux perdu est en cours de fabrication. La couche bleue correspond au plâtre d’alerte, qui indiquera aux mouleurs qu’ils s’approchent du tirage lors du décochage du moule. Des renforts métalliques ont été positionnés.
  • FIG. 7 Les mouleurs sont en train de préparer la partie arrière du moule. Le tissu a été enduit de barbotine pour faciliter l’ouverture du moule. Le mannequin et la robe de chambre seront néanmoins détruits à ce moment-là, car trop abîmés par l’opération.
  • FIG. 8 Le moule, décoché pour révéler l’épreuve, a été détruit : c’est pourquoi on l’appelle un moule à creux perdu.
  • FIG. 9 L’épreuve de la robe de chambre a été tirée dans le moule, nettoyée des traces de plâtre d’alerte.
- L'expérience pas à pas

    L'étude de robe de chambre pour Balzac

    Point de départ de l’enquête: la fameuse Étude de robe de chambre pour Balzac (S.146), une épreuve en plâtre qui a la forme d’un vêtement vide, mais pourvue de pieds fantomatiques. Sur cette épreuve peuvent être lues de nombreuses traces techniques témoignant de sa mise en œuvre. Un ensemble de photographies du moule dont elle est issue, en cours de fabrication dans l’atelier de Rodin, complète les informations disponibles. Pour le reste, il s’agit d’émettre des hypothèses et de les confronter à la réalité des matériaux et de la technique.

    Photographie ancienne dans l'atelier du sculpteur
    Eugène Druet, Les plâtres du Balzac et de la Robe de chambre dans l’atelier du dépôt des marbres.

    Trouver un mannequin

    Les interrogations principales tiennent à la façon dont la robe de chambre a été mise en forme et à la technique utilisée pour rigidifier le tissu avant moulage. De précédentes recherches ont montré que l’une des études en plâtre réalisées par Rodin, à partir d’une version de Jean d'Aire, étude de nu sans la tête (S.2260), a servi de porte-manteau pour donner forme au textile. Pour commencer, il faut donc un mannequin: il a été choisi dans le commerce, taille enfant, et remanié pour s’approcher de la forme voulue. Il faut ensuite une robe de chambre à mouler : elle a été cousue en velours de coton côtelé (fig. 2), pour l’expérience par Laurence Pouradier, adjointe technique de conservation au musée, après les tests ayant permis de choisir le tissu le plus adapté.

    Jean d'Aire, étude de nu
    Jean d'Aire, étude de nu sans la tête (S.2260)

    Mise en place d'une robe de chambre en textile sur le mannequin

    En cherchant à reproduire les volumes du vêtement, les mouleurs ont remarqué que le drapé n’a pas un tombé spontané, les plis tubulaires verticaux de la face nécessitent un soutien pour rester en place (fig. 2). Pour naturelle qu’elle en ait l’air, rien n’est dû au hasard. De plus, l’Étude de robe de chambre pour Balzac offre la trace d’une soudure verticale dans le dos : le vêtement a été coupé en deux pans avant d’être placé sur le mannequin, ce qui facilite l’opération.

    Comment le corps du mannequin a-t-il disparu ?

    La présence d’un corps de plâtre servant de support au vêtement n’est pas avérée sur les photographies prises en cours de moulage. Il est envisagé que le corps en plâtre utilisé initialement comme mannequin a été démembré puis replacé sur une armature en bois, pour que les épaules, les mains croisées à l’avant et les pieds (devenus sans cheville) prennent leur place de manière à créer une silhouette agrandie. Cette hypothèse s’est révélée pertinente durant l'expérience qui, elle, a été conduite sur un mannequin non modifié.

    Comment rigidifier le tissu avant le moulage ?

    L’hypothèse de départ voulait que la robe de chambre ait été plâtrée une fois en place. Mais des tests ont montré que cette méthode, par projection de plâtre, créait un réseau de coulures. Elle n’aurait pas permis de conserver la trame précise du tissu. Après la localisation de points de repère sur le mannequin et une répétition générale, les mouleurs ont donc trempé le pan droit de la robe de chambre dans de l’eau, l’ont essoré puis brossé afin de retrouver le sens des fibres textiles : puis ils l’ont trempé dans du plâtre et mis en place sur le mannequin (fig. 3 à 4). Après remise en place du bras, les mêmes opérations ont été répétées pour le pan gauche de la robe de chambre. Les deux pans ont ensuite été raboutés dans le dos en plusieurs points, par apport de plâtre liquide.

    Le plâtre a pris en une heure (fig. 5), permettant la formation d’un moule en creux de la robe de chambre, (fig. 6 à 7), dans lequel a été tirée une épreuve à l’image de l’Étude de robe de chambre pour Balzac (fig. 8), deux étapes traditionnelles en moulage.

    tirage de la reconstitution de l'étude de robe de chambre pour Balzac
    L'épreuve tirée de l'expérience de reconstitution de la robe de chambre pour Balzac

     

    Corps In•visibles

    Découvrir l'exposition

    L'expérience d'archéologie expérimentale a été menée dans le cadre de l'exposition Corps In•visibles présentée au musée Rodin, Paris, du 15 octobre 2024 au 2 mars 2025.