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Je suis belle
Auguste Rodin
Parmi les techniques grâce auxquelles Auguste Rodin renouvelât profondément le langage sculptural, l’assemblage (parfois dit marcottage) tient une place à part. Cette technique a alors cours dans les ateliers d’arts décoratifs, où Rodin fait ses premières armes : elle permet de fabriquer plusieurs sujets à moindre frais en combinant de manière plus ou moins variée les mêmes figures. À partir du milieu des années 1880, Rodin exploite cette technique dans des confrontations inattendues, créant une esthétique tout à fait particulière. Je suis belle et Les Ombres, qui reprend trois fois la même figure, peuvent en être considérés comme les premiers exemples significatifs.
Je suis belle est certainement créé en 1885 par la combinaison d’une figure féminine connue sous le titre Femme accroupie et d’un nu masculin cambré dont on connaît plusieurs variations. On y voit l’étreinte à la fois sensuelle et bestiale d’un homme portant haut sur sa poitrine une femme recroquevillée. Tout comme Les Ombres, ces figures sont liées au travail sur la Porte de l’Enfer, commandée en 1880 et qui occupe prioritairement Rodin dans ces années. En 1886, le groupe est exposé pour la première fois à la galerie Georges Petit sans titre explicite. Mais la presse témoigne de la présence sur la terrasse des quatre premiers vers d’un poème de Charles Baudelaire, « La Beauté », paru dans Les Fleurs du Mal :
« Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre,
Et mon sein où chacun s’est meurtri tout à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière. »
Si tous les exemplaires connus jusqu’alors portaient en effet le quatrain gravé, ce n’est pas le cas du plâtre acquis en janvier 2021. Un examen attentif révèle plusieurs zones de scellements au plâtre frais : entre les poitrines des deux figures ; entre le bras dextre de la femme et le flanc senestre de l’homme ; à plusieurs endroits des bras de l’homme, prouvant qu’ils ont été découpés pour être repositionnés et s’adapter parfaitement à son fardeau. De multiples traces d’outil recouvrent le plâtre : ainsi on perçoit que la femme, initialement posée sur une base dont elle a été coupée, présente un fessier entièrement modelé au plâtre. Ces observations ne laissent aucun doute quant à la place de cet objet dans le processus de création : il s’agit de l’assemblage original, la première étape de création de ce sujet. C’est ce caractère exceptionnel, eut égard à l’importance particulière de Je suis belle dans la création rodinienne en général, qui a conduit à son classement comme Trésor national.
Les quelques accidents, mais aussi toutes les traces de travail et d’outil sont ainsi parfaitement perceptibles. Une nouvelle étude va permettre des observations plus approfondies pour mieux comprendre la place de cet assemblage parmi la création de Rodin à cette époque, et notamment la relation entre l’homme de Je suis belle et deux autres œuvres réalisées à partir du même nu masculin cambré, l’Homme au serpent et l’Homme qui tombe.
Date de conception :
1885
Dimensions :
H. 72 cm ; L. 38 cm ; P. 39 cm
Matériaux :
Plâtre
Numéro d'inventaire :
S.06802
Crédits :
(c) Agence photographique du musée Rodin - Jérôme Manoukian